La fête patronale

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La fête patronale.

C’est dans l’épicerie-tabac-bureau de poste-agence bancaire que les nouvelles du village circulent et sont commentées, et ce jeudi matin de la dernière semaine de juillet, celui qui précède la fête paroissiale, c’est la morosité. On ne parle que de ça, cette année les Roder ne sont pas là !

 

Il est en colère Baptiste, en colère contre les Roder.

Les Roder, c’était la famille de forains du village depuis toujours ! Enfin depuis au moins le grand père. Ils venaient avec leurs autos tamponneuses, le tir à la carabine, des pinces, un manège, la roulotte de friandises que tenait encore la mère. A la mort prématurée du père, c’étaient les enfants qui avaient repris les tournées mais, il était encore là, le grand-père, le patriarche, c’était lui qui décidait. Cet hiver, il avait rejoint la grand-mère… Et ils avaient trouvé une autre fête, les jeunes, plus rentable car au village ils ne faisaient plus leurs affaires, il y avait plusieurs années qu’ils le disaient.

 

Il est en colère, Baptiste, en colère contre tous ces gens qui habitent dans les nouveaux lotissements, qu’on ne voit jamais, qui disent à peine bonjour, qui clôturent leur jardin, qui ne participent à aucune manifestation, qui finalement ne font pas partie du village, qui font dix kilomètres pour faire toutes leurs courses à Carrefour mais ne viendraient jamais à l’épicerie.

– Si, pour les cigarettes ou la poste, mais il y en a qui m’achètent même pas un paquet de nouilles !

– Le jour où il n’y en aura plus, d’épicerie, y aura plus de cigarettes non plus !

 

Il est en colère Baptiste, en colère contre le Maire qui a relégué la fête devant la salle des fêtes justement, toute neuve, avec ses formes bizarres qui ne plaisaient pas à tout le monde.

– Ca a fait causer, cette construction, c’est le moins que l’on puisse dire.

Avant, ils s’installaient sur la place du village, les forains. Ah ! Il y en avait, des attractions : plusieurs manèges, à cette époque. Elle durait trois jours, la fête et les deux scieries fermaient pendant ces trois jours.

Les festivités commençaient le samedi après-midi par la course de vélo. Elle était populaire, cette course, et disputée par des sportifs qui venaient de toute la région, il y en avait, du monde sur la route, pour les encourager.

Le soir, après le discours du maire, il y avait le défilé aux lampions, auquel les plus petits participaient. Lampions allumés, concentrés sur la flamme dont ils avaient la charge, ils suivaient les musiciens de l’harmonie du village.

Tout le monde se retrouvait ensuite « sur la fête » et la queue du Mickey se balançait joyeusement au-dessus des manèges pris d’assaut par les plus jeunes tandis que leurs aînés se poursuivaient en riant sur les auto-tamponneuses ou exhibaient fièrement les peluches gagnées au tir à la carabine. Les familles parties, les jeunes se retrouvaient sur le bal.

–Ah,  les bals de fêtes ! On les faisait tous.

Toutes les semaines il y en avait un quelque part, et on n’en manquait aucun. On faisait des kilomètres à bicyclette, il n’y avait guère de voitures… Et on rentrait de nuit … Et on roulait pas toujours droit : on abusait un peu des canons de rouge, de blanc, ou de la bière… parfois ça chauffait les esprits, ça tournait à la dispute …  A vrai dire, ils étaient rares, les bals sans bagarres. Mais des couples s’y formaient, c’était au bal que Baptiste avait courtisé la Rosalie, sa femme. Sans les fêtes, il ne l’aurait jamais connue, elle n’était pas du même village.

Le dimanche après-midi, c’était le défilé humoristique. Les jeunes se déguisaient et parcouraient le bourg, de maisons en maisons, de verres en verres…mais il y a eu aussi des concours de labours, de scieurs de long, des courses de cochons… C’est qu’on aimait s’amuser.

Dans la soirée on rejoignait la fête, puis à nouveau il y avait le bal.

Le lundi, c’était le jour des enfants : courses en sac, mât de cocagne, course une cuillère en bouche avec un œuf dedans…

Et le soir, pour clôturer ces trois jours, le concert de l’harmonie municipale et le feu d’artifice réputé dans toute la région. On venait nombreux des villages voisins pour l’admirer.

 

Il est en colère Baptiste, en colère contre les jeunes qui n’avaient pas repris le flambeau.
Ils avaient vieilli, les animateurs, et personne ne s’était bousculé pour les remplacer. On avait commencé par laisser tomber les jeux du dimanche : défilé humoristique et autres… il n’y avait plus personnes pour assumer ! Du coup supprimé aussi le lundi de fête dont les réjouissances passaient au dimanche, ça arrangeait bien les deux scieries ! Et l’an dernier, fini aussi le bal du dimanche, les bals musettes ne faisaient plus recette !

–Les jeunes, sortis de leur musique « boum-boum », y connaissent plus rien !

 

Il est en colère, Baptiste, il le craint, cette année pourrait bien être la dernière ! Surtout que le service des Ponts et Chaussées avait choisi hier pour venir réparer les trous de l’hiver en y  mettant goudron et gravillons.

– Deux jours avant la course cycliste, vous y croyez à ça, vous ! Comme s’il avait pas pu arrêter ça le maire !

 

Elle a eu lieu cette année encore la fête avec comme seuls forains: Un manège, deux pinces, et une roulotte de friandises.

Elle a quand même eu lieu la course cycliste, mais on a été obligé de changer d’itinéraire au dernier moment, et à part les familles des sportifs, il n’y avait pas grand monde pour les encourager.

Il a fait son discours le maire.

Ils ont défilé avec leurs lampions les petits.

Il a eu lieu le bal, mais à minuit il n’y avait plus personne.

Le dimanche, il est tombé des cordes toute la journée.

Le soir, impossible de tirer le feu d’artifice.

 

Il risque bien d’avoir raison Baptiste, c’est ce qui se dit à l’épicerie.

 

 

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