La salière de tante Gabrielle

La salière de tante Gabrielle.

 

C’était un jour important, elle tenait à ce que tout soit parfait : sa décision à elle  dépendrait de la sienne à lui, mais leur vie à tous les deux allait changer.

Elle avait mis de l’ordre et astiqué partout dans la maison.

Tout le linge avait été lavé et repassé.

Elle avait préparé une salade de cervelas, il aimait. Elle faisait rôtir un poulet, il en resterait certainement pour le lendemain, avait mis au four un plat de pommes de terre boulangères, il adorait ça. Aucune hésitation pour le dessert, elle avait pris le temps de lui faire sa tarte Tatin… Elle avait aussi fait une quiche pour le soir… Il y aurait bien à manger pour deux jours.

 

L’entrée était prête, le dessert refroidissait, le poulet et le gratin cuisaient. Elle avait nettoyé et rangé tout ce dont elle s’était servi, elle aimait que rien ne traîne dans la cuisine, que la table ne soit pas encombrée.

D’habitude, un peu de désordre dans les autres pièces ne la gênait pas, au contraire, c’était la vie de la maison… Mais jamais elle ne se serait couchée en laissant de la vaisselle sale, même lorsqu’ils avaient eu du monde et que les invités étaient partis tard… Il fallait que la cuisine soit impeccable.

 

Elle passa dans la salle à manger. C’était la pièce à vivre de l’appartement qui n’en comptait que deux.

Son regard fut attiré par la salière de tante Gabrielle. Elle restait toujours sur la table. C’était un si bel objet, un gros bloc de cristal moulé qui pesait dans la main et l’emplissait. Une salière étonnamment grosse, mais qui ne contenait que peu de sel dans le petit cylindre creux ménagé à l’intérieur. Une grosse poire toute lisse, toute douce, qu’elle aimait tenir et caresser. Elle se terminait par une petite tige un peu recourbée, autour de laquelle il y avait trois petits trous, on ne risquait pas de trop saler…Cette salière était toujours là au bout de la table, contre le mur, et c’était l’après-midi, lorsque les rayons du soleil venaient s’y refléter et y briller, qu’elle était la plus belle. Elle ne se lassait pas de l’admirer… Elle était pratiquement vide.

Elle retourna dans la cuisine, ouvrit le placard et prit la grosse boîte bleue, celle où l’enfant court après l’oiseau. Elle mit la salière dans sa main, la pointe de la poire coincée entre le majeur et l’index, le fond ventru en l’air, elle tira sur le bouchon de liège qui fermait l’orifice et fit couler le sel lentement à l’intérieur. Celle-ci fut vite pleine. Elle la garda encore un peu en main, jouissant de sa fraîcheur, de sa rondeur, de sa douceur.

On sonna. Elle alla reposer la salière à sa place avant d’ouvrir : c’était Viviane, sa voisine de palier, son amie, à qui il manquait un œuf pour finir un gâteau.
Viviane la suivit dans la cuisine.
Elle s’approcha de la corbeille, prit un œuf, serra délicatement ses doigts autour… si doux, si fragile !
L’œuf changea de main

– Alors t’en es où ?

– Nulle part, ça dépendra de sa décision.

– Et il la prendra quand ?

– Il hésite encore… Mais il ira… Il ne peut pas laisser passer ça !… C’est y aller seul qui l’ennuie… De ce coté- là je suis tranquille, on ne peut pas emmener sa femme dans les puits de pétrole saharien !

– Et s’il décide de ne pas y aller ?

– Il ira. Sinon…

Un regard vers la porte de la chambre, un geste de la main :

– J’ai tout préparé au cas où…

Viviane fronça les sourcils

– Tu ne vas pas regretter ?

– Je ne sais pas, mais je suis décidée.

– Moi, je suis certaine que tu feras une bêtise. Mais bon, je te l’ai déjà dit. Je me sauve, ma pâte attend !

Elle retourna dans la salle à manger, mit un trente trois tours sur la platine de l’électrophone, l’essuya avec la chamoisine, leva le bras de levier et posa délicatement le saphir sur le premier sillon. Elle s’assit sur son fauteuil à lui, plus confortable, et se laissa bercer par Chopin…

Il n’aimait pas Chopin, il n’aimait pas la musique sans paroles ! Il achetait Gloria Lasso, Tino Rossi ou Dalida…. Il n’écoutait pas, il chantait avec le disque et sa voix couvrait celle de l’artiste… Il n’aimait pas non plus « ce jazz que les américains ont apporté avec eux à la Libération, on ne comprend rien aux paroles, et voir tous ces gens se trémousser ! ». Il n’aimait pas danser.

 

Elle se demandait souvent pourquoi elle l’avait épousé. Il ne lui semblait pas qu’elle l’eût vraiment aimé, enfin, aimé d’amour… Mais combien y avait-il de femmes qui avaient épousé leur mari par amour ? Certaines aimaient un amant. Elle n’avait pas d’amant. Elle n’était amoureuse de personne. Et elle n’avait pas d’enfants, non qu’ils n’en voulaient pas, bien au contraire, mais il n’en était pas venu, à sa grande désolation, surtout que sa mère le lui avait affirmé : « Un enfant, ça soude un couple ».

Elle allait coiffer Ste Catherine lorsqu’elle avait rencontré Robert !

Toutes ses amies étaient déjà mariées. Trouver un mari après vingt cinq ans, ça tenait du miracle. Et elle avait envie de quitter ses parents, d’avoir un chez soi, des amis, de recevoir, d’être reçue, d’avoir des enfants… Surtout ne pas finir vieille fille !

Elle se souvint de ce soir de réveillon… invités tous les deux, chez une amie de sa mère. Elle le savait bien, ce n’était pas par hasard. Il était loin de l’arrogance satisfaite que les hommes en quête de femme affichaient dès qu’ils commençaient à leur faire les yeux doux. Elle les trouvait tellement niais, ridicules dans ces moments-là. Lui était plutôt timide, embarrassé, un air de chien battu… Elle avait accepté de le revoir.

 

Elle essaya de se rappeler les premières années de leur mariage. A l’époque, elle se disait heureuse.

Ils avaient un petit appartement avec les toilettes à l’intérieur et même un lavabo !

Il lui avait acheté un buffet bas, à la mode, lui aurait préféré un buffet Henri II. Et sa cuisine regorgeait d’appareils électriques modernes qu’il lui offrait pour Noël ou son anniversaire.

Il faisait le lit avec elle lorsqu’il fallait retourner le matelas, essuyait parfois la vaisselle.
« Tu as un homme en or ! » disait Viviane.

Il l’aimait, elle ne pouvait pas en douter, un peu trop même… Elle se mit à appréhender le samedi soir…

L’heure avançait, il allait rentrer. Elle se leva, alla chercher une nappe propre dans la chambre.

Elle se vit dans la glace de l’armoire, prit le temps de se regarder. Pas si mal que ça pour quelqu’un qui avait passé trente ans. Elle était petite, mais un pantalon affinerait sa silhouette, lui n’aimait pas ! Elle se haussa sur la pointe des pieds, des talons la grandiraient quand il ne serait plus là pour avoir peur d’être plus petit qu’elle. C’est qu’il n’était pas grand lui non plus, et il avait « bien profité » ces derniers temps, sa petite bedaine, légitime à passé quarante ans, disait-il, avait encore pris des rondeurs …. Mon Dieu, quand il était nu, de profil, ses grosses fesses à l’arrière et son ventre à l’avant ! Comme le chantait Aznavour : « Il n’avait rien pour inspirer l’amour » .

Elle se tourna, se retourna. Oui bien sûr, elle, elle en manquait, de fesses. Quant à sa poitrine, elle se redressa, deux jolies petites poires comme il le disait… Elle couperait ses cheveux et les laisserait encadrer l’ovale de son visage. Elle pourrait peut-être même retravailler… Elle ferait tout ça quand il serait parti ! Ce qu’elle voulait, surtout, c’était ne pas lui faire de peine ! Après tout, lui n’y était pour rien, c’est elle qui avait changé ! Et c’était tout de même lui qui la faisait vivre ! Il avait des attentes légitimes ! Pourtant, elle avait beau essayer de se raisonner, elle n’y pouvait rien, elle avait de plus en plus, de mal à le supporter.

 

Il partait parfois deux ou trois jours pour son travail. Alors, elle respirait. Elle ne perdait pas son temps à faire les courses ou la cuisine, ne touchait plus à son tricot, écoutait à la radio les émissions qu’elle aimait, sortait avec Odette, son amie de toujours. Elles étaient même allées au cinéma…

Avec Robert, ils y allaient parfois le dimanche après-midi, mais c’était de plus en plus rare. Il était trop fatigué, ou il y avait un match de foot à écouter à la radio. Il passait alors l’après-midi dans son gros fauteuil club près du poste, tandis qu’elle s’occupait à son ouvrage, tricot, broderie, dans le bridge près de la fenêtre. Parfois il s’endormait et ronflait, d’autres fois, il manifestait tellement bruyamment sa joie ou sa consternation que ça la faisait sursauter.

 

Deux ans, avec des retours pour quelques congés… Deux ans sans lui, deux ans pour établir petit à petit de nouvelles règles, deux ans pour lui laisser le temps de les accepter.

Après, on verrait.

 

Elle revint dans la salle à manger, enleva le vase et le napperon du centre de la table. Elle tenait la salière en main et étendait la nappe sur la table lorsqu’elle reconnut sa toux, ou plutôt ce raclement de gorge qui lui était familier. Un vrai besoin ou une manie ? Il montait les escaliers.

Elle alla lui ouvrir, l’aida à se débarrasser de sa veste, de son chapeau, un baiser rapide.

– Finalement je ne pars pas.

 

Il ne l’avait pas regardée. Il avait tourné les talons, pris le Parisien qu’elle avait posé sur son fauteuil, s’était assis, avait sorti son étui à lunettes de sa poche, l’avait ouvert, avait pris ses lunettes, les avaient essuyées puis mises sur son nez et avait déplié le journal.

Elle, elle était encore dans l’entrée, incapable de bouger…

Non, ce n’était pas possible, il ne pouvait pas lui faire ça !

Elle dit doucement :

– Tu as renoncé ?

Il répondit en levant à peine le nez de son journal :

– Oui, sans toi la vie aurait été trop compliquée, je suis à un âge où on aime son petit confort. Je ne te quitte pas, je reste avec toi. Tu es contente !

Il n’attendit pas la réponse, il se replongea dans son journal.

Marthe resta muette. Elle était toujours dans l’entrée, elle ne sentait plus ses jambes, elle avait l’impression que son sang s’en était retiré et qu’elle allait comme ça continuer à s’en vider… Il fallait qu’elle se ressaisisse, il le fallait !

 

Il se leva de son fauteuil lorsqu’elle apporta l’entrée. Elle sentit sa respiration, juste derrière. Elle se figea. Deux mains encerclèrent sa taille, et remontèrent par devant… Non, pas la poitrine ! Elle ne le supporterait pas ! Elle se dégagea pour poser le plat sur la table et s’éloigna. Le pain, elle avait oublié le pain !

Il faisait la tête lorsqu’elle revint, mais la découverte de cette salade qu’il aimait lui redonna le sourire. Il mangea avec appétit tout en écoutant les informations à la radio. Elle, elle avait du mal à avaler.

Il fit la grimace, le poulet n’était pas assez salé. Elle le savait pourtant, elle ne salait jamais assez ! Elle pourrait faire un effort ! Et avec ça qu’on avait du mal avec cette fichue salière !

– Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines à vouloir te servir de cette salière tous les jours, elle ne sale rien ! J’ai toujours pensé qu’en fait c’était une poivrière, il devait y avoir une deuxième poire ou un autre fruit, quelque chose de plus efficace…

Elle avait déjà entendu ça, elle n’écouta pas la suite, ne répondit pas. La réponse, il la connaissait. Elle alla dans la cuisine chercher le plat de pommes de terre.

 

Il s’extasia lorsqu’elle apporta le dessert :

– Tu m’as fait ma tarte Tatin ! Un repas de dimanche aujourd’hui ! Toi, tu savais bien que je ne partirais pas !

Elle sortit de son mutisme, et doucement elle dit :

– Au contraire, j’étais certaine que tu ne laisserais pas passer une telle occasion, c’était une promotion inespérée.

Il la regarda, laissa un instant sa cuillère en suspens, puis l’enfourna, et dégusta le morceau de gâteau :

– Toujours aussi bonne, tu me demandes pourquoi j’ai renoncé ? Mais ma chérie, qui m’aurait fait une telle merveille en plein Sahara ?

 

Après le repas, il faisait toujours une petite sieste dans son fauteuil avant de repartir au travail. Elle s’affairait alors dans la cuisine tandis qu’il dormait.

Elle débarrassa, fit la vaisselle, rangea les restes du repas dans la glacière, nettoya la cuisinière, le dessus du buffet et la table.

Lorsque tout fut parfait, elle traversa la salle à manger pour aller dans la chambre, sortit la valise de dessous le lit. Elle était à moitié pleine. Elle ouvrit l’armoire, examina son contenu, sortit des vêtements, les ajouta à ceux qui se trouvaient déjà dans la valise.

Elle passa dans le cabinet de toilette, prit le temps de se repoudrer et de passer sur ses lèvres ce rouge bordeaux qu’il trouvait vulgaire, fini de remplir sa trousse, puis la mit dans la valise.

 

Tout était prêt. Elle s’assit sur le lit, écouta sa respiration régulière : il dormait.

Comment allait-il réagir ? Il y avait longtemps qu’elle pensait à partir, mais elle avait toujours reculé. Comment allait-il se débrouiller tout seul ? Il avait toujours eu une femme à ses côtés pour assurer le quotidien, sa mère et puis elle. Qu’est-ce qu’il allait manger ? Et son linge, qui s’en occuperait ? Mais pourquoi n’était-il pas parti dans ces puits de pétrole ? Il aurait été pris en charge là bas ! Elle n’aurait pas été obligée de l’abandonner !… Une fois, chez la coiffeuse, elle avait surpris une femme se plaindre que son mari ne la regardait plus. Elle l’avait enviée. Lui, il avait des besoins comme il disait… Si seulement il avait eu une maîtresse ! Ou s’il avait fréquenté ces maisons qu’on parlait de fermer ! Elle avait trop cru à cette liberté possible avec ce départ probable. Elle ne pouvait plus reculer maintenant. Elle s’était promis de ne plus reculer. Pourvu qu’il crie, qu’il se fâche, qu’il soit odieux même ! Sinon, ce serait trop difficile.

 

Lorsqu’elle comprit qu’il était réveillé, elle prit valise et sac et alla dans la salle à manger. Elle s’arrêta dans l’encadrement de la porte, il ne la vit pas. Elle dit :

– Je pars.

– Maintenant ? Tu vas où ? demanda-t-il sans la regarder.

– Je vais à Nice.

Il redressa la tête brusquement, se leva de son fauteuil et lui fit face.

– A Nice ! Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qu’est-ce que tu me racontes ?

Il était juste en face d’elle, il la fixa un instant puis ses yeux descendirent jusqu’à la valise. Il explosa :

– C’est pour aller rejoindre cette Odette ? Elle est à Nice maintenant, hein ? C’est elle qui t’as mis cette idée en tête !

Elle sursauta, mais ne bougea pas. Lui continua en la regardant fixement :

– Tu crois pouvoir partir en vacances comme ça, toute seule ! Et moi dans tout ça qu’est-ce que je deviens ? Mais tu es folle ma parole ! Tu crois que je vais admettre ça ? Tu le crois vraiment ?

Elle attendit qu’il ait fini de crier et répondit avec le plus grand calme :

– Je vais à Nice pour travailler.

– Pour travailler !

Il avait parlé plus calmement, comme s’il se rendait compte tout à coup de sa détermination. Elle lui avait déjà tenu ce genre de discours, travailler ! Mais il n’y avait pas fait plus attention que ça. Et voilà que ça la reprenait !

– Je ne gagne pas assez bien ma vie ? Tu n’as pas tout ce que tu veux ?

– Ce n’est pas ça, j’ai tout ce qu’il faut, je sais bien que c’est moi qui ai tort, mais je t’ai dit que j’avais l’impression d’étouffer, que j’avais besoin d’un peu de liberté…

– Nous y voilà, le mot est lâché, Liberté !
Il se mit à marcher de long en large dans la pièce.

– C’est le mot à la mode chez les femmes aujourd’hui ! C’est quoi avoir un peu de liberté ? Tu aurais préféré que j’aille au bistrot chaque soir, que je tape la belotte avec les copains le dimanche, et que je te laisse toute seule à la maison l… Ca te va ça comme liberté ?

– On peut parfois faire chacun de son côté ce qu’on aime…

– Alors ça sert à quoi d’être marié ? Et qu’est-ce que tu aimes, toi ? C’est cette Odette qui t’a mis ces idées en tête ?
Il s’arrêta juste devant elle. Instinctivement elle recula. Surpris, il recula lui aussi et dit plus doucement :

– De mieux en mieux, tu as peur de moi maintenant. Est-ce que je t’ai déjà touchée ? Tu vas me faire le plaisir de rapporter cette valise dans la chambre.

– Non, Robert, je pars.
Elle avait parlé lentement et sans quitter son regard.
Il ferma les yeux, hocha la tête, laissa retomber ses bras le long du corps, resta immobile un instant, puis la fixant à nouveau il dit :

– Tu pars ? Comment ? Et avec quel argent ?

– J’ai l’argent que m’a offert maman pour mon anniversaire, je n’ai pas touché à celui que tu me donnes pour les courses, j’ai assez pour prendre le train.

– Et tu vivras comment à Nice ? Tu crois que tu vas trouver du travail comme ça ?

– On recrute des saisonniers en ce moment.

– Alors ton rêve c’est d’aller faire la bonniche dans les hôtels ou de te faire peloter en servant à boire dans un bistrot !
Il avait à nouveau haussé le ton. Elle était toujours contre la porte de séparation entre la chambre et la salle à manger, sa valise à ses pieds, elle restait calme, elle ne bougeait pas.
Il lui tourna le dos, s’approcha de la fenêtre, puis se retourna et, la regardant dans les yeux, il dit doucement :

– Ce n’est pas sérieux, tu ne peux pas partir, là, comme ça, maintenant. Donne-toi le temps de réfléchir…

– Non, je pars aujourd’hui, j’ai besoin de mettre de la distance entre nous.

– De la distance ? Ah, je comprends maintenant !
Il frappa du poing sur la table où la salière brillait sous le soleil qui l’éclairait.

– L’Algérie t’aurait bien arrangée, il y en aurait eu de la distance ! Et bien pars, je ne te donne pas un mois pour revenir !

Elle prit la valise qu’elle avait posée à terre et s’avança dans la pièce qu’elle devait traverser pour rejoindre l’entrée.

Lorsqu’elle passa près de lui, il l’attrapa par le bras, la valise tomba.

– Non, tu ne partiras pas !

Il la secoua brutalement… puis la lâcha.

Elle ne dit rien, reprit la valise, traversa la salle à manger, se dirigea vers la porte d’entrée, l’ouvrit, se retourna pour le regarder, il était au milieu de la pièce, il avait cet air de petit garçon timide et perdu qui l’avait émue autrefois. Elle se sentit mal, coupable, esquissa un pas vers lui. Il lui lança alors un regard si dur qu’elle y lut de la haine, et attrapant brutalement la salière il la lui lança :

– Tiens, ça c’est à toi !

Elle tendit la main mais n’arriva pas à la rattraper. La salière échoua sur le tapis de l’entrée, tout contre un de ses pieds. Elle eut soudain peur, franchit alors rapidement le seuil, se retrouva sur le palier, tira vivement la porte derrière elle, saisit la poignée en cuivre de l’appartement de Viviane… La maintint dans sa main un moment, elle était si ronde et si fraîche…

Un instant d’hésitation, puis elle se retourna, se dirigea à nouveau vers son appartement, tourna la poignée de la porte, entra à peine, se baissa, ramassa la salière, la mit vivement dans son sac, ressortit, tira à nouveau la porte et sans hésiter une seconde, descendit en courant l’escalier… Elle lui écrirait, à Viviane.

Elle entendit la porte s’ouvrir à nouveau :

– Marthe ! Marthe ! Non… Marthe, reviens !

Il était sur le palier maintenant, penché sur la rampe il la regardait descendre, mais elle ne releva pas la tête.

Arrivée en bas, elle s’énerva sur la porte de l’immeuble qui tardait à s’ouvrir, se retrouva dans la rue. Elle marcha aussi vite qu’elle le put, rejoignit l’entrée du métro et s’enfonça sous terre sans un regard derrière elle, mais les yeux pleins de larmes.

Retour vers MES NOUVELLES