La nouvelle voisine

voisineLa nouvelle voisine

 

Enfin, il fait beau, pas trop chaud, juste ce qu’il faut, un temps merveilleux pour déjeuner dehors, sous le parasol qui protège du soleil mais laisse passer le vent…

Des pas font crisser le gravier :

– Bonjour… ah ! vous êtes à table, je peux m’asseoir quand même ?… merci… .je suis votre nouvelle voisine, la maison là-bas …– geste du bras –.

Elle se passe la main dans les cheveux, se tortille sur sa chaise, se gratte la tête… On se présente, on est enchanté de faire sa connaissance… Non, on n’a pas vraiment entendu parler d’elle. Pourquoi lui dire qu’à peine arrivés, les voisins …Voyons par nous- mêmes !

Elle se lance :

– Dites, vous allez tondre ?

Comment faire autrement ?

Vous pourriez avoir un mouton, ça entretient bien les terrains, ça ne fait pas de bruit, et ça ne pollue pas !

On serait d’accord mais à condition qu’à la fin de l’été, ce soit elle qui le tue le mouton, parce que ce n’est pas notre truc.

– Mais pourquoi le tuer, pourquoi ne pas le laisser mourir de sa belle mort ?

On est d’accord, à condition que cet hiver ce soit elle qui s’occupe de l’animal, parce que nous on ne sera pas là !

Silence. Elle se gratte à nouveau la tête, approche ses fesses du bord de la chaise, puis réinvestit tout le siège, se redresse avant de lancer qu’elle ne voit pas pourquoi il faut tondre « vous comprenez, moi le bruit, je ne supporte pas, je suis venue à la campagne pour le silence, alors les tondeuses ! Avant je vivais en ville avec ma mère, mais je ne supportais plus. Comme j’ai de l’argent de l’héritage de mon père, je vais bientôt acheter quelque chose, mais dans un endroit calme. J’ai loué ici pour tester, c’est infernal le bruit qu’il y a ici, pourtant les maisons sont loin les unes des autres… Et avec ça il paraît qu’un voisin va refaire son toit !»

On est désolé mais la semaine prochaine, nous aussi on fait des travaux, on refait la cour, pelleteuse, cailloux …Eh oui à la campagne le bruit porte loin… Oui au moins deux jours ! Elle ne répond rien, mais fait la moue, se lève, s’excuse, elle doit aller se reposer, si on pouvait ne pas faire trop de bruit pendant sa sieste…. On va seulement vivre !

Il y a comme un froid entre la voisine et les autres habitants du hameau. La postière ose laisser son moteur tourner lorsqu’elle met le courrier dans les boîtes à lettres ! La chienne de Monique aboie lorsque quelqu’un vient chez elle ! Il faut plus d’une semaine à Marcel pour refaire son toit ! Et deux jours ! On avait dit deux jours de pelleteuse ! Et le troisième jour on continue ! Elle croit peut-être que ça nous amuse et qu’on fait ça uniquement pour dépenser un peu plus ! Bernard fait un bruit infernal avec la tondeuse à fil alors qu’il n’a rien à tondre, elle est catégorique, son herbe n’est même pas haute ! Ah ! Oui, comparée à la savane qui a poussé devant chez elle ! Et il aime bien travailler pour rien, Bernard, c’est ce qu’il finit par lui dire ! Denis est furieux, elle n’en a pas assez d’aller râler chez tout le monde ! Elle les lui casse à la fin ! Marcel lui conseille un endroit calme, le cimetière, à condition de fuir le jour de la Toussaint !…

Non seulement ils sont bruyants et peu aimables avec elle dans ce quartier, mais en plus ils sont grossiers ! Personne ne la comprend, personne ne fait d’efforts pour essayer de la comprendre !

On l’évite, on la fuit, on fuit ses jérémiades, ses plaintes… et on ne fait plus du tout attention à ce qu’elle dit… Et même certains font durer les bruits…

Enfin, elle a trouvé une autre maison, dans un autre village, elle partira à la fin du mois, sans regret, elle sentait bien qu’elle n’était pas acceptée. On la voit moins, elle part souvent des journées entières, elle prépare son départ.

Je passe en vélo devant sa maison et elle est au bord de la route avec ses poubelles, c’est le jour du ramassage. Je lance un bonjour auquel elle répond par un « beu, bonjour » sans enthousiasme. Je continue à pédaler, elle me hèle

– Dites, je peux vous dire quelque chose ?

Je m’arrête.

–Vous allez tondre, samedi ?

Ce n’est pas moi qui tonds,  je ne sais pas.

– Parce que, vous comprenez, pour mon dernier week-end ici, je voudrais bien être tranquille ! »

Un mois plus tard, Monique la rencontre au marché : non, elle n’est pas à l’endroit idéal, sa nouvelle maison, il y a une route pas loin et des voitures passent dessus !


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