L’eau du ciel

L’eau du ciel

tuyaux-arrosage-preview-6582604

Dormir la fenêtre ouverte, on ne peut pas faire autrement en ce moment, surtout en couchant sous un toit que le soleil a chauffé toute la journée !

Je suis entre sommeil et éveil, les yeux hésitant à s’ouvrir à la lumière qui filtre entre les volets, les oreilles intriguées par un bruit… De l’eau ? Il pleut ! Je me lève et m’approche de la fenêtre, je regarde entre les fentes des volets : c’est Marcel qui arrose son jardin.

Je le vois, bien campé dans ses sabots, les jambes écartées, le corps penché en avant, presque à l’horizontale, les deux mains serrées sur la pomme du jet d’eau. Il cible chaque pied d’artichaut au plus près, selon sa technique : ne mouiller que le pied, pas à côté, pour ne pas engager l’herbe à pousser. Au jet ! Alors, Marcel tu as renoncé à ton arrosoir et à l’eau de pluie ?

Je l’observe, arroser, couper l’eau, rapprocher la pomme d’un autre pied, arroser de nouveau… Et recommencer de pied en pied jusqu’au bout de la ligne de légumes. Il progresse en crabe, la jambe droite se déplace provoquant un léger balancement, il se rééquilibre rapidement, et la gauche avance à son tour. Le corps reste toujours dans la même position, il ne fait que glisser lentement au rythme imposé par les jambes, la casquette, qui semble suspendue en l’air, suit ce mouvement de translation. Les gestes se répètent, sans varier le rythme, c’est comme une danse.

Le jet d’eau, Marcel ? Je n’en crois pas mes yeux ! Je suis du regard le tuyau, je dois changer de fente pour accompagner son trajet, il traverse toute la pelouse, tourne autour du gros sapin, va vers le coin de la maison… Il vient du gros réservoir sous la gouttière ! Ah ! Bravo Marcel, tu n’as renoncé qu’à l’arrosoir, pas à l’eau de pluie !

Après les artichauts, il passe aux aubergines, même manège. Je les admire, elles sont si grosses, si lisses, si brillantes, il en a donné une hier à Thomas qui me l’a apporté fièrement : «Marcel a dit que, comme ça, tu pourras utiliser tes courgettes et nous faire un tian ! »

Je me rallonge un peu, et somnole au son de l’eau qui coule…

Le bruit change, des petits coups légers et réguliers, une musique pour rythmer la danse ? Il n’arrose plus, il bine maintenant. Je me relève et espionne à nouveau. Il n’a pas vraiment changé de position, juste d’outils. Jambes écartées, le corps un peu moins penché, les mains plus hautes sur le manche de la pioche qu’il soulève et abaisse régulièrement faisant à chaque fois une griffe dans le sol. Il aère la terre, il le dit : « Il faut qu’elle respire, la terre, pour profiter de l’eau du ciel».

J’entends discuter dans le dortoir, mes titounets sont réveillés, ils ne vont pas tarder à descendre, je vais aller préparer le petit déjeuner.

Je laisse Marcel à son potager, un dernier regard envieux et admiratif, j’ai encore beaucoup à apprendre… mais je ne suis pas certaine de le vouloir vraiment !

Retour vers MES CARNETS D’ÉTÉ